Les tentatives de contrôler la diffusion des œuvres par l'industrie musicale et du cinéma sont vraiment navrantes. Malgré les moyens considérables déployées depuis une dizaine d'année (disons que Napster marque l'année zéro du P2P : 1999) dans cette croisade contre les réseaux pair à pair (P2P), ces réseaux existent toujours et au contraire gagnent en popularité chaque année.

Brêve histoire des réseaux pas tout à fait pair à pair

Les premiers réseaux P2P (années 2000) dépendaient de quelques nœuds centraux. Il suffisait de trouver les responsables de ces nœuds pour couper tout le réseau. Comme ils étaient américains, les maisons de disque (Internet était trop lent pour télécharger des films) n'ont pas eu de mal obtenir gain de cause.

Les réseaux évoluèrent pour ne plus dépendre de nœuds centraux, et la solution du procès ne fonctionnait plus. Il y a eu des procès d'internautes, aux États-Unis comme en France, mais l'impact sur les consciences semble peu efficace.

Tentative d'éradication du P2P par des moyens techniques

Une autre approche est la déception : tenter de polluer les réseaux en injectant des fichiers corrompus. Bien que des sociétés soient payées pour diffuser continuellement des chansons tronquées ou des vidéos pornographiques portant le nom de dessins animés pour enfant (ou du dernier film à succès), cette technique ne semble pas non plus porter ses fruits. Les internautes s'organisent, montent des forums, et la technologie évolue (BitTorrent ?).

Il existe aussi le tatouage numérique (watermarking) : technologie de pointe mais extrêmement coûteuse et pénible pour l'éditeur de contenu. Effectivement, les éditeurs de solution de tatouage sont paranoïaques car leur technologie repose sur le secret. Ils surveillent donc leurs clients (pas les internautes, les éditeurs de contenu) de très près (l'arroseur arrosé ?).

Bon bref, pas besoin d'en écrire des tas, il semble clair que ce n'est pas une solution technique qui va sauter l'industrie du disque et du cinéma.

Faire voter une loi, une solution de dernier recours ?

L'industrie attaque donc sur un nouveau front : la législation à grand coup de lobbyistes. Il y a d'abord eu une tentative en 2006 avec la « réponse graduée » dans la loi DADVSI, mais le conseil constitutionnel a censuré cette proposition.

Pendant ce temps (23 février) à l'autre bout du monde, la Nouvelle Zélande a suspendu un projet de loi similaire à Hadopi.

Plus récemment (le 26 mars), le parlement européen a adopté à 481 voix contre 25 (et 21 abstentions) un rapport intitulé « Renforcement de la sécurité et des libertés fondamentales sur Internet » qui dit justement que l'accès à Internet ne peut être refusé comme une sanction par des gouvernements ou des sociétés privées.

Qu'importe, le projet Hadopi est maintenu à l'assemblé nationale. Ça a fonctionné car la la loi a été acceptée à 23h. Elle a été votée par 16 députés : 10 pour, 4 contre, 2 abstentions, et hum... 528 absents (ils étaient tous à la piscine).

C'est marrant quand même, notre ministre de la culture se justifiait en disant qu'il n'y avait que « 5 gus dans un garage » opposés au projet de loi Hadopi. Alors que le mouvement « Blackout » lancé fin février a été suivi par plus de 12.200 sites Internet et que la pétition lancé par la magazine SVM a collecté 47.903 signatures (députés européens, associations, chefs d'entreprise, et même des artistes !).

L'industrie de la musique et du cinéma se porte bien

Bizzarement, j'apprend que le chiffre d'affaire global de la musique, en incluant les concerts, est en augmentation. Le cinéma a quant à lui battu des records d'entrées en 2008 (en France, aux USA et en Suède). Les jeux vidéo ont augmenté leur chiffre d'affaire de 22% en 2008 par rapport à 2007, qui était déjà une année exceptionnelle.

Résumé

Pour ceux qui n'ont rien suivi à Hadopi (comme moi), je vais tenter de résumer (maladroitement donc). C'est un projet de loi liberticide (donne le droit à des sociétés privées d'obtenir votre nom et adresse selon votre adresse IP) qui va provoquer une vague de censure (fermeture des points d'accès wifi, filtrage par liste blanche dans les écoles et bibliothèques, etc.), mais ne va pas éradiquer le P2P (au mieux, ça va se calmer pendant quelques mois). Les techniques est toujours la même : la déception (rendre le P2P plus difficile : réseaux anonymes chiffrés, plus lent) et la peur (bloquer par mesure préventive).

Je pense que la meilleure lutte contre Hadopi est d'informer les internautes. Quelques pointeurs : l'excellent résumé d'Hadopi (une page A4) par la Quadrature du Net et l'article Wikipédia.

MISE À JOUR : J'ai corrigé la phrase « acceptée à 23h par 16 députés, 1 contre (Lionel Tardy, merci à lui !), et hum... 560 absents (ils étaient tous à la piscine) ». Merci à Arcaik de m'avoir indiqué le bon nombre de votants.